6 décembre 2018

« Nous sommes fiers de protéger vos droits historiques et nous continuerons de le faire. » Le premier ministre François Legault a adressé ces paroles rassurantes à la communauté d’expression anglaise, dans son discours inaugural à l’Assemblée nationale du Québec. Un peu plus tard dans le même discours, il a réitéré l’intention de son gouvernement d’abolir les commissions scolaires élues gouvernées par des commissaires scolaires élus démocratiquement. Ces deux buts sont contradictoires : le deuxième menace le premier.

L’intention d’abolir les commissions scolaires élues représente un changement radical à un système d’éducation qui fait l’envie de nombreux pays de l’OCDE. Ce n’est pas le moment de plonger le Québec dans un débat sur les structures qui s’avérera sans doute long, semeur de discorde et juridique. Le discours de Legault annonçait aussi la bonne nouvelle que l’éducation constituera la première priorité de son gouvernement. En effet, nous devrions tous nous concentrer sur ce qui importe vraiment, à savoir travailler ensemble pour améliorer les services aux élèves et la réussite scolaire.

Il existe plusieurs raisons positives de maintenir les commissions scolaires élues démocratiquement au Québec. Chiffrés à moins de 5 pour cent, les coûts administratifs associés au fonctionnement des commissions scolaires se comparent très favorablement avec tous les autres niveaux d’administration. Sur un territoire aussi vaste et aussi diversifié que le nôtre, les commissions scolaires constituent un niveau régional de gouvernance locale indispensable. Il est inconcevable que nos écoles et nos centres de formation pour adultes puissent être gérées de manière centralisée à partir de Québec. Il est tout aussi inconcevable que notre système d’éducation puisse être complètement décentralisé vers 3 500 écoles et centres de formation pour adultes individuels. 

Au sein de notre réseau, les commissions scolaires élues affichent un taux de réussite scolaire de 86 pour cent. Dans de nombreux cas, elles représentent aussi le seul lien entre les communautés locales et leurs écoles. Ayant récemment visité la Commission scolaire Eastern Shores en Gaspésie et la Commission scolaire Central Québec à Québec, je puis témoigner du rôle essentiel que jouent les écoles anglophones dans une foule de communautés partout au Québec.

Il est difficile de voir comment la transformation des commissions scolaires en « centres de service », gérés par des employés du gouvernement du Québec avec un degré élevé de contrôle centralisé, engendrera des économies ou rationalisera le processus de prise de décision dans notre réseau d’éducation. Ce qui est clair, c’est que l’abolition des élections des commissions scolaires et l’élimination des commissaires scolaires élus est une érosion de la démocratie locale et des droits constitutionnels de la minorité anglophone en vertu de l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés de gérer et de contrôler nos institutions d’enseignement.

Il semblerait que le gouvernement a l’intention de faire valoir que la participation de certains parents, enseignants, administrateurs et membres de la communauté cooptés au sein de « centres de service » respecte les droits constitutionnels de la minorité anglophone.

La jurisprudence qui interprète les droits garantis par la Charte en général et l’article 23 en particulier est claire : ces droits doivent être interprétés de façon large et ils englobent la communauté linguistique minoritaire dans son ensemble, pas seulement les individus, tels les parents, qui ont un rôle direct à jouer dans notre système d’éducation. L’abolition des élections des commissions scolaires et des postes de commissaires scolaires élimine la participation des Québécois qui ont un intérêt dans notre système et qui paient des taxes scolaires, au processus de contrôle et de gestion de leurs institutions d’enseignement. L’ACSAQ est d’avis que toute structure autre que des commissions scolaires locales gouvernées par des commissaires scolaires élus par l’ensemble de la communauté d’expression anglaise ne respecte pas nos droits garantis par la Charte.

Cette position est renforcée par la jurisprudence et par les précédents législatifs. En Nouvelle-Écosse, à l’Île-du-Prince-Édouard et au Yukon, les gouvernements provinciaux ont éliminé les commissions scolaires de la majorité anglophone mais ils ont conservé les commissions scolaires francophones, justement pour respecter les droits en matière d’éducation de la minorité francophone — c’est-à-dire afin d’être pleinement conforme à la Charte. Il ne s’agit pas d’un modèle que nous souhaitons voir ici, précisément parce que nous souscrivons au principe des commissions scolaires élues démocratiquement au Québec, peu importe leur statut linguistique.

Si le gouvernement de Legault souhaite « protéger les droits historiques » de notre communauté, il doit respecter la jurisprudence reconnue et les précédents législatifs canadiens. Il doit conserver les commissions scolaires anglophones élues démocratiquement. Toute autre mesure serait en contradiction avec ses propres propos et avec la valeur fondamentale de notre société de protéger les droits linguistiques des minorités.

Dan Lamoureux est le président de l’Association des commissions scolaires anglophones du Québec.

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