Mémoire de l'ACSAQ

Préambule

L’Association des commissions scolaires anglophones du Québec (ACSAQ) soumet par la présente ses observations sur le projet de loi no 60, la Charte affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l’État ainsi que d’égalité entre les femmes et les hommes et encadrant les demandes d’accommodement. Bien que l’ACSAQ remercie la Commission des institutions de lui offrir cette possibilité, ces délibérations ne sont toutefois pas entreprises de gaieté de cœur. Notre Association et les neuf commissions scolaires anglophones qu’elle représente déplorent profondément que le projet de loi inscrive des questions aussi importantes et légitimes que celles touchant à l’inclusion, à l’identité, ainsi qu’aux droits individuels et collectifs, dans une perspective négative que nous considérons indûment réactionnaire et sujette à discorde. Il s’agit d’un point de vue regrettable qui, en définitive, fait totalement abstraction de la générosité, de la détermination et de l’audace dont nous avons, en tant que Québécois, systématiquement fait preuve au regard de ces questions essentielles, sans nous faire tirer l’oreille par une loi aussi radicale que celle qui nous est proposée aujourd’hui. Nos commissions scolaires membres en sont le parfait exemple, ces dernières ayant – au fil des ans et de manière inconditionnelle – ouvert les portes de leurs écoles et de leurs centres de formation à des élèves issus de milieux ethniques, raciaux, linguistiques et religieux variés.

Dans le présent mémoire, nous nous proposons d’examiner brièvement la portée, la nature et l’histoire du réseau d’enseignement public anglophone que nous représentons; de défendre et d’expliquer les arguments mentionnés ci‑dessus; d’évaluer différents articles pertinents du projet de loi et leur incidence potentielle sur nos écoles, notre personnel et nos élèves; de décrire notre approche pédagogique vis‑à‑vis de la neutralité religieuse, de l’égalité des sexes et des enjeux entourant l’accommodement raisonnable; et enfin, nous soumettons un certain nombre de questions qui, du point de vue de l’ACSAQ, se doivent d’être étudiées de manière approfondie par les législateurs avant de poser un vote sur ce texte de loi troublant.

(a)  L’ACSAQ et le réseau d’écoles publiques anglophones du Québec

Les neuf commissions scolaires membres de l’ACSAQ desservent quelque 100 000 élèves dans 340 écoles primaires et secondaires, centres de formation professionnelle et centres de formation pour adultes partout au Québec. Chaque commission scolaire a une démographie, des orientations et une histoire particulières. Toutes offrent des services d’enseignement public avec une sensibilité « anglo-québécoise » qui accorde une même importance à toutes les croyances, religions ou cultures. Cette sensibilité est d’une importance vitale pour le débat du projet de loi no 60 qui, selon les propres mots de la première ministre, est censé définir la façon dont les Québécois vivront ensemble à l’avenir.

L’ACSAQ aimerait souligner au moins quatre éléments qui décrivent cette sensibilité « anglo‑québécoise » :

(i)  Une approche pédagogique axée sur l’apprentissage de l’élève plutôt que sur l’enseignement du sujet, c’est-à-dire qui, conformément à l’esprit de la réforme des programmes d’études au Québec, met l’accent sur l’acquisition de compétences et de connaissances afin d’encourager l’esprit critique, le comportement citoyen, le questionnement et le travail d’équipe;

(ii)  La participation des parents et de la collectivité : les commissions scolaires sont redevables aux  contribuables, donc nos écoles doivent être accessibles et transparentes vis‑à‑vis des parents et de la collectivité;

(iii)  Un engagement à préparer l’avenir de nos élèves au Québec : cet engagement commence avec l’apprentissage approfondi du français comme langue seconde. Chacune de nos commissions scolaires se donne pour mission d’offrir à chaque élève la possibilité de maîtriser le français. Cet engagement contribue à la francisation du Québec puisqu’il se transpose dans une approche générale visant l’enseignement des arts, de la littérature, de l’histoire et qu’il s’étend même aux activités parascolaires, représentant ainsi une approche consciente et respectueuse de la personnalité riche et unique du Québec;

(iv)  Une reconnaissance de notre statut particulier en tant qu’institutions anglophones : la communauté anglophone du Québec, dans toute sa diversité, continue à contribuer au riche tissu social du Québec. Les commissions scolaires anglophones, qui représentent le seul ordre de gouvernement élu redevable à cette communauté, assument dans le cadre de leur mission la tâche d’enseigner cette contribution fondamentale et d’y contribuer.

(b)  Le projet de loi no 60 et les présomptions qu’il recouvre

Le projet de loi no 60 semble reposer sur la supposition qu’il existe un affrontement majeur à l’intérieur de la province entre des valeurs religieuses et culturelles conflictuelles, et celles réputées être des valeurs communes à la population québécoise. En tant que représentante des neuf commissions scolaires anglophones du Québec, l’ACSAQ n’a guère constaté de preuves à cet effet. Nos écoles publiques anglophones contribuent à la vigueur future de la langue française en offrant des programmes de français langue seconde intensifs et d’avant‑garde qui dépassent largement les exigences du programme prescrit par le gouvernement. Un pourcentage croissant d’élèves fréquentant les écoles publiques anglophones complète l’examen du français langue maternelle à la fin de leurs études secondaires et réussissent aussi bien, sinon mieux, que leurs concitoyens francophones. La sécularisation progressive de l’enseignement public au Québec, à laquelle l’ACSAQ souscrit pleinement, représente un autre élément de cette réussite. Le remplacement de l’enseignement confessionnel par un programme « d’éducation et de culture religieuse » de plus en plus reconnu aide nos élèves à apprendre la leçon importante que la diversité raciale et religieuse enrichit le Québec et qu’elle complète, plutôt qu’elle ne menace, le sentiment d’unité autour des valeurs québécoises.

Alors ministre de l’Éducation, Pauline Marois a évoqué avec éloquence les principes susmentionnés dans la Politique d’intégration scolaire et d’éducation interculturelle, publiée par le Gouvernement du Québec en 1998 :

« … (l’égalité des chances) va de pair avec ceux de l’équité et de la non‑discrimination et renvoie à l’acceptation et au respect de l’altérité ainsi qu’au rejet de l’intolérance, de l’ethnocentrisme et de toute manifestation raciste ou discriminatoire. Cela exige que le milieu scolaire reconnaisse les élèves pour ce qu’ils et elles sont, avec leurs ressemblances et leurs différences, leurs particularismes et leurs caractéristiques communes. On admet ainsi que la diversité ethnoculturelle, linguistique et religieuse imprègne la société québécoise et a droit d’expression. À cet égard, l’école permet de cultiver chez les élèves l’estime de soi, le sentiment de leur identité et le sentiment d’appartenance à la société québécoise, au-delà des origines et des références identitaires. »[1]

Le message d’inclusion prédominant, relayé par notre réseau scolaire anglophone, revêt une signification d’autant plus grande que nous nous donnons pour mission d’inclure autant que possible les élèves à tous les aspects de la vie scolaire. Pour ce faire, nous nous appuyons sur une approche distincte et, encore une fois, complémentaire au rôle unique qui nous incombe en tant que réseau d’écoles en langue minoritaire résolu à préparer l’avenir de ses élèves dans un Québec où la langue commune est le français.

Soyons clairs : lorsque l’ACSAQ laisse entendre que le projet de loi no 60 s’inscrit dans une perspective « réactionnaire et sujette à discorde », notre Association ne minimise pas l’importance des enjeux réels et urgents que nous devons relever pour réconcilier des valeurs opposées ou aplanir l’inévitable dissonance de cultures et de valeurs qui se pose dans toute société démocratique. Il s’ensuit des divergences et des conflits, et il convient de les résoudre. Que ce soit les affrontements dans les cours d’école entre élèves d’origines différentes, les réactions variées et parfois inappropriées de parents à l’égard d’une figure d’autorité féminine ou les demandes d’exemption injustifiées de programmes scolaires pour des raisons religieuses, toutes ces dynamiques se sont déjà présentées au sein de nos écoles, tout comme elles se présentent au sein du réseau scolaire francophone. Ceci étant dit, l’ACSAQ estime que ces réalités quotidiennes doivent nous inciter à trouver des approches pratiques, compatissantes et souples, plutôt que d’y appliquer des réponses codifiées, uniformes et arbitraires.

Ainsi, dans nos écoles, un père qui rejette des commentaires sur les difficultés en mathématiques de son fils parce qu’ils proviennent d’une enseignante sera traité sommairement. Une telle réaction est inacceptable, il n’est pas nécessaire d’adopter une nouvelle loi pour s’en convaincre. De même, un élève qui demande à être exempté pour des raisons religieuses d’un cours de musique découvrira rapidement – sans avoir besoin de recourir au projet de loi no 60 – que sa demande sera refusée. Le régime pédagogique, la Loi sur l’instruction publique, la Charte des droits et libertés de la personne du Québec actuellement en vigueur et non modifiée, de même que la jurisprudence actuelle, confèrent déjà à nos écoles publiques tous les paramètres et les lignes directrices dont elles ont besoin pour aborder ces situations.

(c) Le projet de loi no 60 et son incidence potentielle sur nos écoles, notre personnel et nos élèves

Outre les préoccupations générales de l’ACSAQ au sujet du projet de loi, certaines sections méritent, à notre avis, des commentaires particuliers :

État tout en tenant compte, le cas échéant, des éléments emblématiques ou toponymiques du patrimoine culturel du Québec qui témoignent de son parcours historique.

dans le préambule du projet de loi no 60 et tout au long du texte de loi. C’est un principe juridique reconnu en matière d’élaboration de la législation que chaque mot doit apporter une signification et un sens nouveaux, et qu’aucun texte ne doit être superflu. Il est par conséquent important que chaque terme et ses conséquences soient expliqués de manière succincte et soient parfaitement compris. Deuxièmement, l’article 1 prévoit une exemption qui suscite un questionnement : il ne fait aucun doute que la croix gravée sur la façade d’un hôpital ou d’une école au Québec, ou celle érigée au sommet du mont Royal, est « emblématique » du patrimoine culturel du Québec. L’ACSAQ est tout à fait d’accord sur ce point. Qu’en est‑il cependant d’une étoile de David enchâssée dans le vitrail d’une synagogue qui aurait depuis été convertie en école publique? Ou d’un exemplaire du Coran dans une bibliothèque publique? Ce ne sont pas des questions rhétoriques. Les réponses à ces questions, si jamais une version non modifiée du projet de loi no 60 devait être adoptée, auraient des répercussions sur notre méthode d’enseignement telle qu’elle est pratiquée au sein du réseau scolaire anglophone, ainsi que sur notre compréhension commune du « patrimoine culturel du Québec » et la façon dont il est transmis à nos élèves.

5. Un membre du personnel d’un organisme public ne doit pas porter, dans l’exercice de ses fonctions, un objet, tels un couvre‑chef, un vêtement, un bijou ou une autre parure, marquant ostensiblement, par son caractère démonstratif, une appartenance religieuse.

Plus que tout autre, c’est cet article du projet de loi no 60 qui a le plus attiré l’attention du public. Notre opposition à son application dans les écoles financées par les fonds publics au Québec (une position qui, soit dit en passant, est également soutenue par trois ex‑premiers ministres issus du Parti québécois, la Commission des droits de la personne et de nombreux autres) est amplifiée par les sérieuses questions que nous nous posons quant à la façon dont il est possible d’assurer son application. De quelle façon l’éventail de coiffes, pendentifs et ornements pourra‑t‑il être compilé, examiné et mis à jour? Comment établir qu’une grande croix portée par un enseignant est un symbole d’affection pour Madonna, la vedette du rock, et est ainsi, a priori, légale (même en concédant qu’elle est d’un goût douteux)? Et comment établir que cette même croix est la représentation d’une affiliation religieuse et est ainsi, a priori, illégale… ou pas, d’après un ensemble de critères qui reste à déterminer concernant les limites acceptables en matière de taille, de couleur, de texture et de visibilité? Quelles ressources humaines et budgétaires, à l’échelle des institutions et du gouvernement, seront prévues pour administrer l’application compliquée de cette section de la loi? Quelles directives gouvernementales les institutions publiques peuvent‑elles s’attendre à recevoir pour assurer son application?

L’ACSAQ observe avec intérêt, et une certaine confusion, les nombreuses propositions d’exemptions sur des articles clés du projet de loi no 60, et les nombreux délais relatifs à leur application (notamment au regard des articles 45 et 46), qui sont prévus pour certains établissements publics. Incidemment, aucun ne s’applique aux commissions scolaires, bien que cela obligerait l’ACSAQ à y réfléchir à deux fois avant de conseiller à ses membres de se prévaloir de ces exemptions, en supposant qu’elles leur soient accordées. À des degrés variables, les municipalités, les collèges, les universités et les établissements de la santé et des services sociaux peuvent invoquer des exemptions.

Pourquoi le niveau de tolérance à l’égard de symboles religieux visibles est‑il plus élevé pour certains établissements publics? Ce phénomène repose‑t‑il sur l’idée que la clientèle adulte plus directement servie et le personnel embauché par ces établissements sont plus à même de comprendre que de tels symboles religieux ne compromettent en aucun cas la neutralité de l’État? Dans ce cas, nous aurons donc établi que la liberté d’expression est finalement souhaitable, dans la mesure où nos enfants n’y sont pas exposés? Une telle conclusion semblerait absurde et finirait, une fois encore, par aller à l’encontre de la réforme très progressive des programmes d’enseignement primaire et secondaire du Québec et de son approche en matière d’enseignement fondée sur le questionnement. Si la logique de notre conclusion est jugée erronée, il tarde à l’ACSAQ de mieux comprendre le raisonnement sur lequel le gouvernement fonde ces exemptions et ces délais.

13. Les dispositions des articles 3 à 6 sont réputées faire partie intégrante des conditions de travail des personnes à qui elles s’appliquent.
Une stipulation contraire à l’une de ces dispositions est sans effet.
 

14. Lors du premier manquement à la restriction relative au port d’un signe religieux de la part d’un membre du personnel d’un organisme public, l’imposition de toute mesure disciplinaire par l’organisme est précédée d’un dialogue avec la personne concernée afin de lui rappeler ses obligations et de l’inciter à se conformer. 

21. La politique de mise en œuvre d’un organisme public rappelle la règle énoncée à l’article 14 en cas de manquement à la restriction relative au port d’un signe religieux de la part d’un membre de son personnel.

ACSAQ prend très au sérieux la responsabilité qui lui incombe de conseiller ses commissions scolaires membres et de consulter ses syndicats sur les sanctions prescrites dans le projet de loi no 60 (ou l’absence de telles sanctions) en cas de non-respect de ces dispositions de la part des personnes ou des institutions. Mesure disciplinaire? Renvoi? Formation axée sur la sensibilisation? Le ministre responsable du texte de loi a refusé à maintes reprises de définir clairement les sanctions qui seront imposées à un(e) employé(e) ou à une institution publique qui ne respecterait pas ces dispositions. Nous réitérons la question.

16. Lorsqu’une demande d’accommodement pour des motifs religieux implique une absence du travail, l’organisme public doit plus spécifiquement considérer :

(1) la fréquence et la durée des absences pour de tels motifs;
(2) la taille de l’unité administrative à laquelle appartient la personne qui fait la demande et la capacité d’adaptation de cette unité ainsi que l’interchangeabilité des effectifs de l’organisme… 

elle a été incapable de recenser, au sein de son réseau scolaire au cours des cinq dernières années, une seule plainte qui aurait été déposée par un employé – et encore moins qui n’aurait pas été résolue – concernant une demande d’absence du travail ou d’autres dérogations pour des motifs religieux. Nos neuf commissions scolaires, de concert avec leurs syndicats affiliés représentant leurs employés, ont toutes fait des « ajustements volontaires » dans de nombreuses situations semblables qui ont permis de résoudre ces questions de manière satisfaisante, sans perturbations ou controverses indues causées par la personne concernée ou l’effectif de l’école. Malheureusement, le concept d’ajustement volontaire est à peine mentionné dans ce projet de loi. Or, il s’agit de la notion légalement reconnue de discussion constructive et de résolution de problèmes visant la réconciliation des différences sur des questions étatiques et religieuses. Ce projet de loi invoque, incorrectement à notre avis, le concept plus compliqué et rigoriste de l’« accommodement raisonnable » pour décrire pratiquement n’importe quelle question touchant la religion et l’État. Parfois, le bon sens, la bonne volonté et l’empathie sont tout aussi efficaces.

Il est possible que des directives ou des orientations supplémentaires de l’État soient jugées utiles par certains. Si tel est le cas, l’ACSAQ invite le gouvernement actuel à examiner soigneusement les directives déjà établies et l’expérience acquise en la matière avant d’avoir recours aux stipulations arbitraires et difficilement quantifiables énoncées dans la présente version de l’article 16. Le paragraphe (2), par exemple, semblerait avoir pour effet de limiter les absences potentielles de manière indue et préjudiciable dans une petite école comparativement à une école de plus grande capacité. Est‑ce que cela signifie que notre enseignante à l’école Entry‑Island aux îles de la Madeleine ne peut se voir accorder de vacances pour le Noël orthodoxe grec, alors que son homologue à l’école secondaire Centennial Regional High School de Chambly, d’une capacité beaucoup plus élevée, le peut? Est‑ce qu’une absence reconnue pour le ramadan sera plus facile à obtenir pour un(e) enseignant(e) à l’école Nesbitt School à Rosemont qu’à l’école secondaire Quebec High School, simplement parce qu’il ou elle aura plus de collègues pour couvrir son absence?

Le projet de loi sème encore plus la confusion en indiquant que les accommodements finalement accordés seront considérés comme des décisions ponctuelles, sans établir de précédent. En réalité, le projet de loi no 60 décrète que la responsabilité incombe à chaque demandeur désirant d’obtenir un accommodement et que les responsabilités de chaque établissement concernant la résolution de ces questions sont d’une importance secondaire. Une telle approche semble entrer en contradiction avec d’autres obligations imposées aux employeurs en vertu des programmes d’accès à l’égalité en emploi institués par les gouvernements successifs du Québec. L’extrait qui suit est tiré d’une directive publiée par le gouvernement sur le « Programme d’accès à l’égalité en emploi – Obligations des employeurs » (site Web de la Commission des droits de la personne et de la jeunesse) :

« Voici quelques exemples courants d’accommodement :

  • Adapter un poste de travail aux limitations d’un employé;

  • Autoriser une journée de congé pour permettre la participation à une fête religieuse;

  • Offrir des soins adaptés aux besoins des patients;

  • Fournir les outils d’apprentissage nécessaires aux élèves ayant un trouble d’apprentissage ou de comportement;

  • Modifier un menu en tenant compte de restrictions alimentaires. »

De telles pratiques sont depuis longtemps instituées au sein de notre réseau, la direction et les syndicats ayant convenu du cadre à respecter par le biais de textes négociés localement et sans que cela n’ait soulevé de difficultés importantes. À long terme, l’ACSAQ craint que le projet de loi no 60 et ses restrictions sur l’expression religieuse individuelle aient pour autre conséquence négative d’exacerber les difficultés en matière de recrutement auxquelles se trouve actuellement confronté le réseau scolaire anglophone dans toute la province.

19. Un organisme public doit adopter une politique de mise en œuvre des prescriptions de la présente Charte s’harmonisant avec sa mission et ses caractéristiques propres. La politique tient notamment compte des obligations qui lui sont imposées par cette Charte ainsi que par les dispositions législatives particulières relatives aux besoins spirituels de sa clientèle.

20. La politique de mise en œuvre d’un organisme public rappelle et précise les devoirs de neutralité et de réserve en matière religieuse auxquels sont tenus les membres de son personnel dans l’exercice de leurs fonctions, notamment :

(1) l'objectivité nécessaire indépendamment de leurs opinions et croyances en matière religieuse;
(2) l’obligation de s’abstenir de toute forme de prosélytisme;
(3) la restriction relative au port d’un signe religieux.

La politique de mise en œuvre rappelle également aux membres du personnel d’un organisme public l’obligation d’avoir le visage découvert. 

Une des initiatives les plus productives associant le gouvernement actuel et le réseau scolaire public du Québec au cours des dernières années a été la réduction globale et mesurable de la bureaucratie dans le domaine de l’éducation. En supprimant les postes excédentaires, en éliminant les exigences superflues en matière de rapports et en simplifiant les mécanismes de responsabilisation, le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport ainsi que les commissions scolaires du Québec ont mis en place un processus qui permet de mieux garantir la reddition de comptes, tout en libérant des ressources et un temps précieux pour offrir un soutien direct en salle de classe aux élèves. Malheureusement, les articles 19 et 20 ci‑dessus font peu de cas de ces progrès importants en obligeant les commissions scolaires et d’autres institutions publiques à créer une autre politique, avec toutes les contraintes qui en découlent en matière de rapports, d’évaluation, de dépenses et de validation. De plus, depuis quand une loi, une fois dûment adoptée et appliquée, requiert‑elle que les restrictions qu’elle contient soient réaffirmées dans des politiques institutionnelles individuelles émanant de cette même loi? L’ACSAQ aimerait comprendre pourquoi le Ministre juge cet article nécessaire.

En outre, notre Association s’attend à ce que ses enseignants, ses professionnels et ses administrateurs soient plutôt mécontents de la suggestion péjorative,  au paragraphe 20 (2), qu’il soit nécessaire de leur adresser une admonestation particulière contre toute tentative de prosélytisme à l’égard des élèves. L’ACSAQ estime que le professionnalisme de son personnel, conjointement aux directives claires établies par le régime pédagogique et renforcées par les politiques actuelles de chacune de ses commissions scolaires membres, rend ce paragraphe redondant et insultant. Le prosélytisme n’est pas acceptable. Le message est reçu, compris et transmis depuis longtemps. 

9.1. Les libertés et droits fondamentaux s’exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de l’ordre public et du bien‑être général des citoyens du Québec. 

Scope fixed by law.

La loi peut, à cet égard, en fixer la portée et en aménager l’exercice. 

41. L’article 9.1 de cette Charte est modifié par l’addition, à la fin du premier alinéa, de la phrase suivante : « Ils s’exercent également dans le respect des valeurs que constituent l’égalité entre les femmes et les hommes, la primauté du français ainsi que la séparation des religions et de l’État, la neutralité religieuse et le caractère laïque de celui‑ci, tout en tenant compte des éléments emblématiques ou toponymiques du patrimoine culturel du Québec qui témoignent de son parcours historique. »

L’article 9.1 provient, bien entendu, de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. La plupart des législateurs, juristes et leaders d’opinion seraient d’avis que ce dernier a fourni, et pourrait continuer à fournir au Québec, un cadre solide, souple et adéquat pour assurer une cohabitation harmonieuse. En effet, une charte des droits de la personne est le pilier le plus fondamental de toute société; sa modification ne doit donc pas être entreprise à la légère. L’ACSAQ n’a pas l’intention de débattre de la primauté du français au Québec; la Charte de la langue française ainsi que la vigilance et les efforts collectifs des Québécois et des institutions qui les servent – dont les nôtres – attestent avec éloquence de cette réalité. L’ACSAQ entend toutefois remettre en question la proposition du projet de loi no 60 d’inclure la primauté du français comme une priorité absolue en cas d’arbitrage éventuel de toute question touchant la protection des droits de la personne au Québec (article 41 ci‑dessus du projet de loi no 60). Cette nouvelle hiérarchie de droits pourrait‑elle jeter le doute sur certaines pratiques de nos écoles anglophones, sur certains ajustements volontaires effectués dans l’exécution des programmes, voire sur les actes d’établissement des écoles anglophones? Pourrait‑elle avoir pour effet juridique de créer des droits plus égaux que d’autres, une éventualité que d’importants spécialistes du droit international dénonceraient avec ferveur – dont le propre auteur québécois de la Déclaration universelle des droits de l’homme, le défunt John Humphrey, ferait assurément partie?

De même, de leur point de vue privilégié à titre d’éducateurs, les membres de l’ACSAQ ont de la difficulté à accepter l’idée que le projet de loi no 60 ait besoin de légiférer davantage sur la question de l’égalité entre les hommes et les femmes. Nos élèves se voient enseigner la fière position de leadership occupée par le Québec en ce qui concerne l’équité salariale. Ils découvrent que le Québec a atteint un niveau de progrès relativement à l’équilibre des genres parmi les dirigeants politiques, communautaires et du monde des affaires, qui rivalise avec pratiquement n’importe quel pays occidental. Ils acquièrent une compréhension fondamentale du fait que le respect de l’autorité et du jugement aussi bien des femmes que des hommes est inconditionnel et non négociable. L’ACSAQ souligne résolument que ces fières leçons peuvent être tout aussi bien apprises d’un(e) enseignant(e) dont l’affiliation religieuse est inconnue que d’une personne qui exprime visiblement son affiliation au moyen d’une kippa, d’un hidjab, d’une croix ostentatoire ou de tout autre attribut. Le fait que sur les 13 000 employés à temps plein au sein de notre réseau, seule une poignée d’entre eux serait susceptible de s’identifier de la sorte, est absolument hors de propos. Nous enseignons à nos élèves qu’il existe de nombreuses façons d’être de fiers Québécois et de contribuer à la société québécoise. Leur montrer que leurs enseignants – à l’instar de la population générale du Québec – proviennent de diverses races, nationalités et religions est une façon importante et concrète de transmettre ce message.

Les questions ci‑dessus ne sont que les enjeux les plus urgents révélés par notre analyse et notre étude du projet de loi no 60. Aucune réponse satisfaisante ne leur a été apportée à ce jour. L’ACSAQ estime que les écoles publiques anglophones du Québec, comme la plupart des établissements publics du Québec, trouvent leurs propres réponses – des réponses à la fois justes, inclusives et tournées vers l’avenir – pour vivre et apprendre ensemble dans un esprit qui respecte notre patrimoine commun et en constante évolution, ainsi que les valeurs collectives qui définissent le Québec pour en faire le pays distinctif et magnifique dans lequel nous vivons. Par conséquent, nous sommes d’avis que le projet de loi no 60 devrait être retiré.

[1] Une école d’avenir : Politique d’intégration scolaire et d’éducation interculturelle, Gouvernement du Québec, 1998, pp 6-7.

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