L’Association des commissions scolaires anglophones du Québec (ACSAQ) se réjouit de cette occasion de partager ses vues avec les membres de la Commission de la culture et de l’éducation et le public au sujet du projet de loi n° 14, Loi modifiant la Charte de la langue française, la Charte des droits et libertés de la personne et d’autres dispositions législatives. À titre de porte-parole élu des neuf commissions scolaires anglophones du Québec, l’ACSAQ tient à cœur le résultat de ce texte de loi. Nous exprimons cet intérêt au nom de nos neuf commissions scolaires membres, des quelque 100 000 élèves inscrits aux 340 écoles primaires et secondaires anglophones, aux centres d’éducation des adultes et de formation professionnelle ainsi que les 13 000 enseignants, professionnels, administrateurs et membres du personnel de soutien dévoués qui desservent ces élèves et les communautés scolaires qui en dépendent partout au Québec.
Les commentaires suivants sont basés sur une déclaration de la première ministre du Québec lors de son discours inaugural à l’Assemblée nationale le 20 octobre 2013. Durant cette allocution, madame Marois a déclaré : « Une majorité d’entre-nous est d’accord pour défendre et promouvoir la place du français dans notre société, et ce, en tout respect de la communauté anglophone ».
Nous faisons partie de cette majorité et nous désirons souligner que nous soutenons les deux objectifs énoncés dans cette déclaration. Avec le plus grand des respects, l’ACSAQ est d’avis que le projet de loi présenté à cette Commission ne répond à, ni ne valide aucun de ces objectifs. Conséquemment, nous croyons que le projet de loi n° 14 devrait être retiré ou, à tout le moins, modifié de façon substantielle. Permettez‑nous de vous expliquer pourquoi.
Accès à l’école anglaise
La responsabilité première de l’ACSAQ est d’assurer la stabilité des écoles de son réseau—les pierres angulaires de la communauté qu’elles servent. Maintenir le taux d’inscription dans ces écoles s’est avéré une tâche difficile de même qu’une source de préoccupation constante. Déjà, la Charte de la langue française impose des conditions strictes sur qui peut fréquenter l’école publique anglaise. Le projet de loi n° 14 vise à étendre ces limites, ce qui compromettrait davantage l’avenir de notre réseau scolaire, en faisant fi du rôle incontestable et actif que nos écoles jouent dans la francisation du Québec.
Trois de ces mesures, qui toutes sont vulnérables à la contestation juridique selon nos analyses légales préliminaires, sont dignes de mention. Premièrement, en vertu des articles 79, 80 et 81, le gouvernement actuel propose de renverser un règlement dûment établi par un gouvernement du Parti québécois précédent. Ce règlement dispense de façon légitime et légale les enfants à charge des militaires affectés au Québec des restrictions liées à l’accès aux écoles publiques anglophones au Québec. L’ACSAQ estime que notre système scolaire perdrait environ 750 élèves si cette mesure était adoptée, dont 700 dans une seule commission scolaire, soit celle de Central Québec. Ce nombre représente près de 17 % de la population étudiante totale de cette commission scolaire. Les conséquences dévastatrices de cette décision pourraient entraîner, sans aucun doute, la fermeture d’écoles, la perte d’emplois et une réelle menace pour l’avenir à long terme de cette institution essentielle desservant la communauté linguistique minoritaire du Québec.
Alors que toutes les bases militaires au Canada sont desservies par des écoles de langue française à proximité, l’accès à l’enseignement en langue anglaise serait largement interdit pour le personnel militaire au Québec si la modification deviendrait loi. Est-ce que c’est ainsi que nous voulons représenter le Québec auprès des familles de militaires?
Les familles militaires perdraient un droit acquis et leurs enfants perdraient l'occasion de fréquenter les écoles d’une commission scolaire qui s’est classée au second rang, dans toute la province, pour ce qui est du taux de réussite au niveau secondaire, tout en offrant à ses élèves des occasions sans pareil de maîtriser le français aussi bien que l’anglais. De plus, l’ACSAQ a discuté avec certains hauts fonctionnaires du ministère de la Défense nationale et les Forces canadiennes, des membres des partis de l’opposition du Québec et du personnel militaire sur des bases situées sur le territoire québécois, cette mesure risque de compromettre la capacité des Forces armées de recruter et retenir du personnel au Québec.
En plus de servir tous les citoyens en participant à des missions très risquées partout au monde, le personnel militaire est essentiel en ce qui a trait aux opérations de secours en cas de catastrophe, ainsi que la sécurité à l’intérieur de nos frontières. Aussi, on pourrait affirmer que l’élimination de cette mesure va à l’encontre de l’article 91 de la Constitution canadienne qui identifie les Forces armées comme relevant de la compétence exclusive fédérale.
Un gouvernement péquiste précédent a reconnu, selon les arguments présentés ci-dessus, l’importance d’octroyer, par le biais d’un règlement, cette exemption militaire. Le gouvernement actuel a proposé la mesure unique et excessive d’éliminer ce même règlement établi par un acte législatif. Nous sommes inquiets qu’une telle tactique ait été adoptée pour rendre plus difficile toute tentative d’un gouvernement futur de le rétablir. Le gouvernement actuel affirme qu’il ne fait que corriger une échappatoire de la Charte de la langue française. L’ACSAQ soutient que le gouvernement élimine un droit qui devrait être maintenu, un point de vue qu’une forte majorité de Québécois appuieraient sans aucun doute.
Deuxièmement, le projet de loi n° 14 propose de modifier l’article 73 de la Charte de la langue française pour nous faire croire que le gouvernement actuel s’imagine que le « trichage » en série pour accéder à l’enseignement en anglais s’effectue sur une échelle si répandue qu’un témoin‑vedette de la Commission Charbonneau en rougirait de honte. Il est évident qu’une telle affirmation relève de l’absurde. Donc, comment expliquer le langage de l’article 73.0.1 :
« Il ne doit pas être tenu compte dans l’application de l’article 73 d’un enseignement reçu en anglais dans le contexte de l’illégalité d’une fréquentation scolaire. Il en est de même lorsque l’enseignement en anglais évoqué repose sur une astuce, un subterfuge ou une situation ponctuelle artificielle dont le seul but est de contourner les dispositions de la présente loi ».
L’article 77 de la Charte pare déjà à une telle éventualité et nous ne le contestons aucunement :
« Une déclaration d’admissibilité obtenue par fraude ou sur le fondement d’une fausse représentation est nulle de nullité absolue ».
Conséquemment, l’ACSAQ est vivement préoccupée par le fait que le gouvernement ait jugé nécessaire d’adopter une mesure si extrême. Premièrement, le fait que les mots ont une portée juridique est un principe de loi bien établi. Plusieurs commentateurs publics ont suggéré que ce projet de loi contient des passages qui ne relèvent que de la rhétorique et de la partisannerie et qui sont, donc, sans conséquence importante. Nous ne sommes pas de cet avis. Si l’exemple ci-dessus a bel et bien une portée légale, il est effectivement une source d’inquiétude pour nous. L’ACSAQ et ses commissions scolaires membres continuent de travailler étroitement avec la bureaucratie du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport et le Bureau d’admissibilité à l’école anglaise. Chaque élève inscrit à une école publique de langue anglaise doit, avant tout, obtenir un certificat d’admissibilité de ce Bureau. Ce processus est long et ardu et nous sommes conscients des défis que ceux qui travaillent au Bureau doivent relever. Il demeure que nous sommes inquiets que l’impact de l’article ci‑dessus et, malheureusement, peut-être l’intention réelle des législateurs lorsqu’ils l’ont rédigé va être d’intimer la bureaucratie d’établir et d’imposer des barrières, des délais d'attente et des obligations additionnelles aux parents qui font une demande d’admissibilité à l’école publique anglaise pour leurs enfants. Les règles et les conditions existantes pour obtenir un certificat d’admissibilité sont déjà assez contraignantes.
Troisièmement, le projet de loi n° 14 propose de restreindre les conditions selon lesquelles l’admissibilité à l’école publique anglaise est obtenue d’une génération à l’autre. L’article 73(1) de la Charte, combiné à l’article 23(2) de la Charte canadienne des droits et libertés, prévoit que les droits reconnus par l’article 23 peuvent être directement ou indirectement transférés entre trois générations, soit d’un grand‑parent ayant ces droits à un enfant ayant ces droits à un petit‑enfant ayant ces droits, et ce, même si l’enfant intermédiaire ne s’est pas prévalu, en partie ou complètement, des droits que lui accorde l’article 23. Le projet de loi n° 14 entend briser cette chaîne en exigeant que l’enfant intermédiaire qui « a reçu son enseignement primaire en français… » fasse la preuve qu’il ou elle était tout de même admissible à transférer le droit à l’enseignement en anglais à son propre enfant. L’enfant intermédiaire doit faire la démonstration que ses propres parents étaient admissibles à recevoir l’enseignement primaire en anglais selon les règles qui existaient alors. En d’autres mots, les parents de la Génération 1 ayant les droits reconnus par l’article 23 peuvent transférer ces droits à la Génération 2. La Génération 2 transfère ces droits à la Génération 3, même si la Génération 2 a reçu un enseignement primaire en français. La modification proposée, l’article 76.0.1, se lit comme suit :
« 76.0.1. Malgré le paragraphe 1° de l’article 73, les personnes désignées peuvent déclarer admissible à recevoir l’enseignement en anglais un enfant dont le père ou la mère a reçu son enseignement primaire en français, si ce parent aurait pu être déclaré admissible à recevoir son enseignement primaire en anglais, à la demande de ses parents, à l’époque, en vertu de cette même disposition et telle qu’elle se lisait alors ».
Encore une fois, permettez-nous de réitérer qu’il serait inexact et plutôt insidieux de prétendre que de telles modifications auraient un impact positif sur le nombre futur d’inscriptions dans l’enseignement public en français au Québec ou qu’elles sont nécessaires pour assurer la protection et la promotion de la langue française. Bien qu’il soit difficile de quantifier de façon précise combien d’élèves risquent d’être privés de leur admissibilité aux écoles anglaises à la suite de cette modification, le nombre est à l’évidence modeste. Nous implorons les membres de la Commission de considérer que, dans le contexte de l’admissibilité à l’école anglaise au Québec, un « nombre modeste », ça n’existe pas. Nous prenons soin de nos élèves un par un en déployant de grands efforts. Nous représentons un système scolaire qui desservait 250 000 élèves en 1971 – à peine une génération et demie – et 100 000 élèves aujourd’hui. La première ministre, au soir de la victoire électorale de son parti le 4 septembre dernier, a déclaré en anglais :
« Je dis ceci à nos compatriotes québécois de la communauté anglophone. Ne vous inquiétez pas. Vos droits seront entièrement protégés. Nous partageons la même histoire et je veux que nous façonnions ensemble notre avenir commun ».
Ces paroles furent appréciées. Elles reflétaient un esprit de compromis, de soutien et de compassion qui auguraient bien pour l’avenir. Toutefois, pour que ces paroles gardent toute leur signification, il faudra que ce gouvernement adopte des actions concrètes afin d’atteindre notre but commun de renforcer la langue française, tout en maintenant la pérennité des institutions qui desservent la communauté anglophone minoritaire. L’ACSAQ maintient que d’atteindre un tel équilibre essentiel est à la fois réaliste et réalisable.
Compétences requises en langue française
L’ACSAQ s’est efforcée de sensibiliser la population de même que les gouvernements successifs aux efforts substantiels et concluants déployés par le système scolaire anglophone pour aider chacun des élèves à maîtriser la langue française et, ainsi, contribuer pleinement à l’avenir du Québec. Ceci est la mission de base des conventions de partenariat cosignées par chacune des neuf commissions scolaires et le ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport. Des programmes hors pair d’immersion française existent de longue date dans notre système scolaire anglophone au Québec. Les élèves de nos écoles produisent, en nombre impressionnant, des résultats exemplaires aux examens de français, langue maternelle, les mêmes examens que passent les élèves francophones. Nos commissions scolaires vont bien au-delà des exigences établies par le Programme de formation de l’école québécoise en ce qui a trait à l’enseignement du français, langue seconde. Nous ne doutons pas que nos concitoyens québécois commencent à réaliser que, en pleine connaissance et fier de notre rôle à titre d’institutions de la communauté anglophone du Québec, nous sommes en même temps des alliés de plus en plus importants dans l’atteinte des objectifs de base de la Charte de la langue française. Nous sommes aussi des Québécois!
Nous avons donc été quelque peu déçus en lisant les articles à la fois longs et quelque peu redondants qui prévoient des examens et évaluations encore plus poussés de l’enseignement du français, langue seconde dans nos écoles. Les modifications pertinentes proposées créeraient une sous-section particulière à la Charte en ajoutant les articles 88.0.1, 88.0.2, 88.0.4, 88.0.5 et 88.0.6 qui se lisent comme suit :
« 88.0.1. Les établissements dont la langue d’enseignement est le français ou l’anglais à l’éducation préscolaire, à l’enseignement primaire, à l’enseignement secondaire et à l’enseignement collégial, et les ministres responsables de ces ordres d’enseignement doivent, selon leurs attributions respectives, prendre les moyens raisonnables pour s’assurer que les personnes que ces établissements forment reçoivent une formation visant à leur permettre d’acquérir des compétences suffisantes en français à la fin de l’ensemble de leurs études pour pouvoir interagir, s’épanouir au sein de la société québécoise et participer à son développement ».
« 88.0.2. Le diplôme d’études secondaires ne peut être délivré à l’élève qui n’a du français, parlé et écrit, la connaissance exigée par les programmes du ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport ».
« 88.0.4. Rien dans la présente sous-section ne doit être interprété comme requérant ou autorisant une diminution de la qualité de l’enseignement en anglais dispensé par les écoles aux élèves reconnus admissibles à recevoir de l’enseignement dans cette langue ».
« 88.0.5. Chacun des ministres est tenu de réviser périodiquement, au moins tous les cinq ans, les différents régimes pédagogiques, programmes, règles et directives relevant de ses attributions afin d’évaluer la possibilité et l’opportunité de rehausser la formation donnée permettant d’acquérir des compétences élevées en français.
Le bilan de cette analyse doit être transmis au ministre chargé de l’application de la présente loi, qui doit en faire état dans son rapport annuel ».
« 88.0.6. Un premier exercice de révision doit être entrepris dans le mois qui suit l’entrée en vigueur de la présente sous-section par chacun des ministres au regard de l’enseignement du français dans les établissements d’enseignement dont la langue d’enseignement est l’anglais ».
Bien que l’article 88.0.4 requière que la formation de compétence en français ne porte pas atteinte à l’enseignement de l’anglais dans les écoles anglophones, l’application rigoureuse des modifications proposées nécessiterait un financement supplémentaire pour les commissions scolaires anglophones pour qu’elles puissent offrir à leurs élèves une meilleure qualité de l’enseignement du français, langue seconde. Ces articles, en particulier, 88.0.5 et 88.0.6, si adoptés, nécessiteraient vraisemblablement encore plus de temps en classe et de formation. À quel point critique ces besoins en compétence vont-ils empiéter sur l’enseignement en anglais ou la vocation anglophone des écoles publiques de langue anglaise? Encore une fois, est-ce que l’esprit de compromis, de soutien et de compassion dont nous parlions plus tôt est exprimé dans ces modifications?
Modifications proposées à la Charte des droits et libertés de la personne du Québec
Le projet de loi n° 14 modifie la Charte des droits et libertés de la personne du Québec pour que l’enseignement en français devienne un droit de la personne, de même qu’une liberté fondamentale. L’article 40 de la Charte des droits serait modifié pour inclure la phrase suivante : « Toute personne a droit à l’enseignement en français ».
L’impact potentiel de cette modification n’est pas évident. Il n’y a aucune explication quant à la façon que ce droit sera exercé. En d’autres mots, s’agit-il du droit de s’inscrire à une école de langue française ou également le droit d’exiger qu’une école de langue anglaise offre un enseignement adéquat du français? Il convient de noter qu’il n’y a rien dans la Charte des droits et libertés de la personne du Québec qui stipule que, dans le cas des enfants admissibles, l’enseignement en langue anglaise est un droit de la personne. D’élever le droit à l’enseignement en langue française au statut de droit de la personne et de liberté fondamentale semble suggérer que l’enseignement en langue anglaise est une dérogation de ce droit de la personne et de cette liberté fondamentale, une théorie que nous acceptons difficilement.
Le projet de loi n° 14 modifierait également le préambule de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec en incluant ce qui suit : « Considérant que le français est la langue officielle du Québec et qu’il constitue un élément fondamental de sa cohésion sociale » et « Considérant que les droits et libertés s’exercent dans le respect de l’ordre public, du bien-être général et des valeurs de la société québécoise, notamment son attachement au principe démocratique, à l’importance d’une langue commune et au droit de vivre et de travailler en français ». Le projet de loi n° 14 modifie aussi le premier article de la Charte de la langue française en exigeant l’ajout, en référence au français, de la déclaration suivante : « Il constitue le fondement de l’identité québécoise et d’une culture distincte, ouverte sur le monde ».
Rien ne définit ce que le mot « vivre » veut dire dans le contexte de la modification proposée ci-haut. Pourrait-on affirmer que, sur la base de cet article, les écoles et les commissions scolaires anglophones ont le devoir d’aider les élèves à vivre en français et que les limites de ce devoir ne sont pas définies? Pris en considération avec les autres commentaires ci-haut, en particulier la modification proposée 88.0.1, les modifications au préambule de même qu’à l’article 1, ainsi que les modifications proposées à la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, incluant son préambule, il est évident qu’une nouvelle hiérarchie de droits de la personne et de libertés fondamentales est en train d’être créée. Cela ouvre la porte à la possibilité de plaintes relatives aux droits de la personne pour des violations présumées du droit de vivre en français. Il est concevable que l’ensemble des modifications proposées par le projet de loi n° 14 ouvre la porte à des poursuites et des recours collectifs contre les écoles et les commissions scolaires anglophones intentés par des élèves affirmant que leur enseignement n’a pu leur donner les compétences nécessaires pour parler couramment le français, de s’épanouir au sein de la société québécoise, d’interagir avec les Québécois en français et de participer au développement du Québec.
Le ministre responsable de cette législation a exprimé l’espoir, au nom de son gouvernement, que ces clauses interprétatives influenceront les décisions futures de la Court suprême du Canada en ce qui a trait à la question de la langue au Québec. Il va sans dire que l’ACSAQ exprime ses inquiétudes concernant ces clauses interprétatives.
Accès aux cégeps anglophones
L’ACSAQ s’est jointe à un consensus clairement exprimé de Québécois s’opposant à l’intention de ce gouvernement d’appliquer les restrictions linguistiques de la Charte de la langue française aux étudiants d’âge adulte désirant étudier dans un cégep anglophone. Nous sommes reconnaissants que le gouvernement n’y ait pas donné suite. Néanmoins, nous sommes préoccupés par une disposition plutôt vague du projet de loi (article 88.2.1(3)) exigeant des cégeps anglophones d’accorder une admission prioritaire aux élèves provenant des écoles anglophones. Que les choses soient claires : l’ACSAQ accorde une grande importance aux cégeps anglophones et au rôle fondamental qu’ils jouent au nom des communautés desservies. Cela étant dit, nous craignons que cet article fasse indirectement ce que ce gouvernement a, comme il le devait, décidé d’éviter de faire directement, soit de décourager les adultes francophones et allophones de décider librement de leur langue d’enseignement. Qui plus est, l’ACSAQ reconnaît que le mélange d’étudiants de milieux linguistiques et culturels divers s’avère un phénomène positif pour nos diplômés alors qu’ils passent de nos écoles à des établissements postsecondaires. L’accès aux cégeps anglophones pour les membres de la communauté anglophone est, il va sans dire, crucial pour nous. Reste que nous ne soutenons pas cette imposition législative.
Autres dispositions du projet loi n° 14
L’ACSAQ souhaite commenter brièvement deux autres domaines inclus dans le projet de loi n° 14 : les organismes municipaux et le secteur de la santé et des services sociaux, de même que le droit de travailler en français. Notre intérêt pour ces domaines s’explique par leur impact potentiel sur les familles et les communautés desservies par notre système scolaire. En tant que membres de ces communautés nous-mêmes, nous avons un intérêt particulier pour ces questions. Des articles contenus dans le projet de loi n° 14, soit textuellement ou dans le ton des articles en question, tendent à limiter la capacité des établissements québécois de fournir légalement des services, de l’information et du soutien aux citoyens en anglais.
Les mesures proposées ainsi que les procédures de contrôle limiteraient, et cela sans leur consentement démocratique, certaines municipalités désignées de fournir des services en anglais aussi bien qu’en français. Réduire le droit des gouvernements municipaux d’offrir des services et de l’information dans les deux langues risque de contribuer aux décisions de parents de langue anglaise de nos élèves de quitter ces communautés, ce qui résulterait en une chute additionnelle d’inscription dans nos écoles et centres. De la même façon, il y a des signaux inquiétants en ce qui a trait à la bureaucratie des services de santé et des services sociaux, de même que des fardeaux supplémentaires en matière de rapports imposés par cette bureaucratie pour ce qui est de la prestation de services en anglais dans ce secteur d’activité essentiel. L’ACSAQ craint que ces signaux et nouvelles exigences risquent de mettre en péril la convention fondamentale concernant les services sociaux et de santé en langue anglaise établie entre les gouvernements successifs (incluant ceux formés par le Parti québécois) et la communauté anglophone du Québec.
Enfin, l’ACSAQ reconnaît et respecte pleinement les provisions de la Charte de la langue française qui protège le droit des Québécois de travailler en français. Nous ne comprenons pas pourquoi ce gouvernement a cru nécessaire de les renforcer davantage. L’hypothèse logique est qu’un diagnostic, effectué par ce gouvernement, indique que l’exigence d’une certaine connaissance de la langue anglaise est injustement incluse dans trop d’offres d’emploi partout sur le territoire québécois. L’ACSAQ n’a aucune preuve d’un tel problème. Nous espérons qu’un tel jugement ne s’applique pas au secteur de l’enseignement public anglophone. L’ACSAQ et ses partenaires ne verraient pas d’un bon œil toute obligation future de justifier chaque offre d’emploi pour un poste dans notre système scolaire qui requiert une bonne compétence en anglais. Si ces dispositions visent d’autres secteurs, nous voudrions une fois de plus exprimer notre préoccupation au sujet de ces incursions, certaines subtiles, d’autres beaucoup moins, dans le domaine légitime des compétences linguistiques en anglais dans le monde de l’emploi.
Conclusion
L’ACSAQ désire réitérer qu’elle est un allié et non pas un adversaire dans les efforts légitimes et nécessaires pour protéger et promouvoir le français en tant que la langue commune du Québec. En même temps, ce gouvernement nous a assuré qu’il partage notre contention inconditionnelle que les établissements anglophones du Québec doivent être activement supportés et maintenus. Le projet de loi n° 14 va à l’encontre de chacune de ces déclarations. Par conséquent, nous ne pouvons pas approuver l’adoption du projet de loi n° 14 par l’Assemblée nationale. L’ACSAQ recommande fortement aux membres de cette Commission de demander son retrait ou, à tout le moins, sa modification substantielle.
Complément d’information à la position de l’Association des commissions scolaires anglophones du Québec (ACSAQ) relative au document de la Ministre …intitulé « Impact du projet de loi 14 sur l’exemption accordée aux membres des Forces canadiennes- Mise au point » Projet de Loi 14
- Le projet de loi 14 met-il fin à la possibilité, pour un travailleur en séjour temporaire, qu’il s’agisse d’un militaire ou pas, d’envoyer son enfant à l’école anglaise?
Les critères relatifs à l’octroi d’un permis de travail pour un séjour temporaire sont clairement définis par le gouvernement. Nous soutenons que la situation des familles de militaires est telle qu’ils y font exception, et ce, sans équivoque. En effet, deux façons permettent de se rendre admissible pour un séjour temporaire, soit (a) le dépôt d’un permis de travail avec la date butoir de la période de travail clairement précisée ou (b) une lettre de l’employeur qui déclare dans un document assermenté que le parent en question n’est au Québec que pour une période limitée soulignant encore la date butoir. Soyons clairs : les militaires assignés pour des périodes indéterminées peuvent à tout moment être appelés à être réaffectés en d’autres lieux et ne rencontrent donc aucun de ces deux critères. C’est pourquoi l’ACSAQ propose de maintenir, tel que la Charte de la langue française l’indique actuellement, une exemption temporaire et sans condition pour les parents membres des forces militaires canadiennes. - Les enfants de militaires qui fréquentent actuellement l’école anglaise au Québec sont-ils en séjour temporaire?
L’ACSAQ persiste et signe : L’exemption accordée aux familles militaires est légitime et nécessaire en vertu de la nature et imprévisible de ce métier. Par définition, chaque déploiement militaire est temporaire. Notre analyse démontre que les familles de militaires sont trois fois plus sujettes à des déplacements pendant le parcours scolaire de leur enfant que ce qu’on peut observer chez la population en général. Les formations entrecoupées de départs et de retours sont fréquentes. Les écoles qui desservent massivement cette clientèle sont confrontées à cette réalité de manière régulière et s’y adaptent. Une telle mouvance ne saurait être le geste volontaire de parents imposant délibérément des changements d’école successifs à leurs enfants, sans y être contraints par la nature même de leur engagement militaire.Le document de Mme De Courcy indique que la majorité des élèves de militaires nés au Québec termineront leur parcours scolaire au Québec. La réalité terrain observée chez les familles militaires à la commission scolaire Central Québec parle toutefois d’elle-même. Citons à titre d’exemple que sur les 37 élèves inscrits à la Commission scolaire Central Québec en 2001-2002 et habitant sur la base militaire de Val-Cartier, seulement cinq y termineront en 5e secondaire. Pourtant on dénombre 17 finissants en 5e secondaire. C’est donc dire que la population s’est transformée au fil des ans et que le parcours des élèves n’est pas celui qu’on observe dans la plupart des autres communautés de cette même commission scolaire. Les départs périodiques et entrées variables de clientèle à cette école sont particulièrement éloquents : à l’école Dollard-des-Ormeaux, située sur la base militaire de Val-Cartier, on note un taux de roulement de la clientèle de 30% par année. - Dans le cas où des enfants de militaires québécois devraient quitter le Québec pour aller vivre dans une autre province canadienne, pourraient-ils poursuivre leurs études en français?
Tel que le document de la Ministre précise, la réponse est oui -- et heureusement. Une fois rendus ailleurs au Canada, les familles des forces militaires auraient le choix d’une école publique française en proximité de 24 des 25 principales bases militaires à travers le pays. Les parents militaires dans nos écoles peuvent en témoigner, et ce, de façon éloquente : ils tiennent à assurer le bien-être de leurs enfants, dans les deux langues, compte tenu de la réelle possibilité qu’un jour, ils pourraient avoir à vivre (et peut-être à nouveau, de façon temporaire) dans une communauté majoritairement anglophone. Dans toutes les régions du Québec, pour la communauté anglophone -- comme c’est le cas pour les minorités francophones hors-Québec- l’école est bien plus qu’un milieu d’enseignement, elle est la porte d’entrée qui permet une vie communautaire riche et une intégration sociale complète. L’ACSAQ rappelle que chaque élève inscrit à l’école anglaise publique au Québec bénéficiera de programmes de qualité en français, comme en témoignent nos excellents taux de réussite même en français langue maternelle au niveau provincial. - Pourquoi modifier cette disposition de la Charte de la langue française alors que seulement environ 700 enfants fréquentent l’école anglaise? Croyez-vous que cette situation met en péril le français au Québec?
Le document de la Ministre propose que l’exemption militaire qu’accorde actuellement la Charte de la langue française aux parents militaires est devenue un “phénomène qui s’apparente à celui des écoles ‘passerelles’ ”, et que quelque “376 demandes ont été déposées pour convertir cette exemption temporaire en droit permanent”. Premièrement, l’ACSAQ s’oppose à la proposition du gouvernement actuel de rayer l’exemption militaire qui accorde des séjours temporaires. L’ACSAQ ne propose pas que ce séjour soit transférable à l’octroi d’un accès permanent pouvant être étendu pour l’élève en question, ou pour ses frères, sœurs ou éventuels descendants. Deuxièmement, Mme la Ministre parle des “demandes”. Elle ne se réfère pas aux éventuelles réponses du Bureau d’admissibilité à l’enseignement en anglais. La décision de la Cour suprême du Canada (Gosselin, 2005) ne pourrait être plus claire : l’accès à l’école publique anglaise, l’accès permanent et non temporaire ne peut être accordé aux francophones du Québec, sauf s’il répond à des critères spécifiques de la Charte de la langue française. Donc, le gouvernement, sans modifier l’exemption, peut déjà se prévaloir des outils existants pour refuser ces demandes. - Est-ce que des écoles anglaises seraient menacées de fermeture en raison de cette nouvelle disposition?
Avec seulement neuf commissions scolaires desservant l’entièreté du territoire et compte tenu que nos institutions desservent la minorité anglophone du Québec, on comprend aisément l’importance accordée à l’école à l’intérieur même de sa communauté. La réalité du territoire des commissions scolaires se répercute sur les aires de desserte des écoles anglophones qui sont aussi déjà extrêmement grandes. Compte tenu du vaste territoire desservi et de la distribution de sa clientèle, la communauté anglophone a développé une expertise à organiser les services éducatifs de manière créative. Il doit toutefois exister une certaine masse critique afin de pouvoir offrir des services éducatifs de qualité. Bien que des écoles de la maternelle à la 5e secondaire existent déjà, si on applique concrètement le projet de loi 14 sur un territoire comme celui de la base militaire de Val Cartier, on réduirait de manière si importante la population de l’école qu’on compromettrait irrémédiablement la viabilité des services éducatifs pour la clientèle qui a les pleins droits d’enseignement en langue anglaise. Qu’adviendrait-il de l’offre de service au secondaire si une école voit sa population réduire de 40% et ne se retrouve même pas avec un groupe par niveau? Quel choix de cours offrir aux jeunes et quelles activités parascolaires peut-on mettre en place dans un tel contexte?Citons à titre d’exemple les deux seules écoles anglaises qui desservent actuellement la grande région du Saguenay. L’une est primaire, l’autre secondaire. La diminution de clientèle dans ces écoles liée au retrait de l’exemption aux familles de militaires réduirait de manière significative la population dans ces deux écoles. Une seule école regroupant les deux clientèles occasionnerait outre les défis de transport à travers une grande région, la précarité des services éducatifs et l’effritement possible de la vie communautaire.Dans ces milieux, notre réalité terrain démontre que la viabilité même des services éducatifs pour la clientèle est mise en cause par de telles dispositions. - À l’origine, quel était l’objectif de cette exemption?
Le document de la Ministre indique que “cette exemption visait à protéger le droit des enfants militaires anglophones (notre emphase) en séjour temporaire au Québec à poursuivre leurs études dans leur langue maternelle. Le règlement 77-48-7, en date du 22 aout 1977, ci-joint, ne fait aucunement mention du critère linguistique. Depuis 1982, les militaires anglophones, quelle que soit leur provenance au Canada, sont déjà admissibles à l’école anglaise. Par conséquent, l’exemption est donc surtout relative aux militaires de langue française.